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6 h 19
Vingt minutes plus tard, un 4x4 noir était venu récupérer Dark au 11000, Wilshire Boulevard pour le déposer au Beverly Wilshire Hotel. À présent, il était dans la luxueuse suite de Wycoff qui sentait le tabac froid et le fast-food. Apparemment, ce type voulait se trouver en permanence au cœur de l’action. En l’occurrence, ce cœur était l’un des plus coûteux au mètre carré de la côte ouest.
Wycoff avait enfin pris une douche depuis leur dernière entrevue. Une serviette autour du cou, des gouttelettes perlaient encore sur sa robuste silhouette couverte d’un duvet roux. Ne l’ayant jamais vu qu’en costume, Dark fut surpris de voir qu’il tenait la forme.
— Où est Riggins ? demanda le ministre.
— Je suis venu directement vous voir, pensant que vous voudriez être informé le premier.
Wycoff sembla hésiter sur la manière dont il devait accueillir ces paroles. Gratitude ? Agacement ? Il opta pour un mélange des deux.
— J’apprécie, Dark, mais pourquoi ne voudrais-je pas tenir Riggins au courant ? Nous sommes du même côté.
— Vraiment ?
— Qu’est-ce que c’est que cette question ?
— Riggins avait raison, dit Dark. Sqweegel n’a jamais laissé la moindre trace de sa personne durant les trente années où nous l’avons traqué. Mais je dois nuancer mon propos. Sqweegel n’a jamais rien laissé par erreur. Mais il lui arrive de laisser des indices exprès.
— Vous me dites qu’il a laissé ce cure-dents exprès pour que nous le trouvions ? J’ai de la chance que mes hommes l’aient repéré.
— C’est bien ce que je dis.
— Dans quel but ?
— Pour nous aiguiller vers vous.
Wycoff pâlit et s’assit sur le canapé. Il baissa les yeux et demanda :
— Dites-moi ce que vous savez.
Dark le considéra un moment, puis il alla chercher un fauteuil qu’il plaça devant le canapé. Il ne voulait pas que cela ait des allures d’interrogatoire mais d’une conversation entre collègues.
— Riggins m’a confié le dossier du meurtre de Charlotte Sweeny. C’était un crime particulièrement atroce, même pour Sqweegel. Et le bébé a assisté à toute la scène.
Wycoff frémit et s’efforça de se ressaisir.
— Je sais pertinemment ce que contient ce dossier, répliqua-t-il d’un ton irrité. Où voulez-vous en venir ?
— Ce bébé est de vous, ce qui explique la pression soudaine sur la DAS pour trouver le monstre qui a tué sa mère – c’est-à-dire votre maîtresse, monsieur le ministre.
— Vous êtes complètement dingue. Elle avait dix-sept ans, bon sang !
— Oui, effectivement.
— Je refuse d’écouter vos sornettes…
— Comme Sqweegel met la pression sur vous, vous nous la mettez à votre tour. Vous ne comprenez pas ? Il tire les fils, et tout le monde danse comme des marionnettes. Chacun de nos mouvements sur l’échiquier, il l’a prévu avec dix coups d’avance. Vous nous faites jouer aux dames alors que lui joue aux échecs en trois dimensions.
— J’ai des enfants, dit Wycoff, mais pas de cette pauvre jeune fille. Mon fils et ma fille fréquentent le même établissement que les filles du Président, nom de Dieu !
— Nous n’avons eu aucun mal à comparer votre ADN avec celui du cure-dents. Les deux correspondent.
— Mon ADN…, commença Wycoff. Comment l’avez-vous obtenu ? C’est une information confidentielle !
— Confidentielle ? Il n’existe rien de tel, monsieur le ministre.
À moins de porter un costume comme Sqweegel, vous, moi et tout le monde, nous laissons des fragments d’ADN partout. Je pourrais en prélever assez sur votre brosse à dents pour vous cloner.
Wycoff se perdit vainement en jurons, puis il se leva soudain. Dark eut presque de la peine pour lui. Cela ne se passait pas comme il l’avait escompté.
Après tout, il s’en fichait. Ce type se cachait derrière le Président et se servait d’eux pour mener une vengeance contre le monstre qui avait torturé et assassiné sa maîtresse sous les yeux de son enfant. Celui qui, selon toute probabilité, ne fréquenterait pas la même école que les enfants du Président.
Mais Dark ne s’en souciait guère. L’important, c’était qu’ils cessent de jouer le jeu de Sqweegel. Et cela impliquait de tout dévoiler au grand jour – au moins à l’équipe qui le pourchassait.
Sqweegel était monté en puissance, mais il n’avait pas laissé le choix au gouvernement fédéral. Non. Il s’était assuré d’une riposte rapide et définitive. Il avait directement visé au sommet. Au-delà du ministère de la Justice.
Ce message que Sqweegel destinait à Wycoff était clair : « Si tu n’es pas capable de protéger tes petits plaisirs personnels, comment crois-tu pouvoir protéger le reste du pays ? »
— Où est l’enfant, à présent ? demanda Dark. Dites-moi au moins qu’il est sous protection policière.
— L’enfant de Charlotte Sweeny va bien.
— Vous ne pigez pas, hein ? Je dois tout savoir. Comment il vous a contacté. Ce qu’il a dit. C’est le seul moyen de l’attraper. C’est bien ce que vous voulez, non ? Qu’il soit arrêté et puni pour tous ses crimes avant qu’il recommence à frapper ?
Wycoff resta silencieux et serra les poings. Il n’avait pas l’habitude d’être pris au piège de ses mensonges.
Il se dirigea vers le téléphone et composa un numéro. Dark le regarda faire sans broncher.
— Vous êtes venu me voir en premier, n’est-ce pas ? lui demanda finalement Wycoff.
— Oui, monsieur le ministre.
— Tant mieux. Alors vous êtes viré, espèce de petit connard insolent. Terminé. Soufflez un mot de tout ça à quiconque et je vous fais liquider. Parlez-en à votre équipe, la même chose les attend. Demandez à Riggins. Il vous dira combien c’est facile. Un simple coup de fil suffit.
Dark marqua une pause, comprenant qu’il était capable de mettre sa menace à exécution.
— Vous commettez une erreur.
— Regardez-moi dans les yeux, vous verrez que je n’en ai rien à foutre.
Dark se leva, hocha la tête et quitta la pièce sans un mot.